L’art a l’œuvre – VII

Art contemporain : l’inversion d’un paradigme

Pour le philosophe français Alain Badiou (1937), le rapport entre la présentation et la représentation est un sujet existentiel subordonné à toute procédure de vérité.

Dans le domaine des arts plastiques, l’art contemporain aurait ainsi inversé le paradigme historique de la représentation de la présentation de la nature, par celui qui rend possible la présentation de la représentation elle-même, pour finalement ne représenter que la représentation.

Précisions sémantiques

Usuellement, la signification de l’adjectif, comme du mot « contemporain » est « simultané à », « de la même époque que » ; contextualisé au moment présent, il est donc synonyme d’actuel. Il hérite toutefois d’un sens tout à fait différent pour l’histoire de l’art, laquelle définit temporellement la période propre à l’art dit « contemporain » comme ayant débuté en 1945, soit après l’issue de la dernière guerre mondiale et étant toujours en cours.

Cette spécificité peut rapidement ouvrir à la polémique, dès lors qu’une majorité de personnes méconnaissent la nuance et demeurent confrontés à la divergence d’interprétation qui persiste entre le sens courant du terme « contemporain » et celui qui lui a été techniquement attribué par les historiens de l’art. L’appellation « art contemporain » ne fait ainsi exactement référence au champ temporel défini par ceux-ci, que lorsqu’elle est utilisée à dessein, pour en définir le critère original.

D’autre part, l’ensemble de la production artistique actuelle ne s’intègre pas au dit contexte et ne revendique pas d’y être associée. Il ne concerne que les pratiques et les réalisations idéelles et conceptuelles enfreignant les frontières définies par l’art moderne et l’art académique.

Le souci d’exactitude, comme celui de cohérence, m’incite encore à rappeler une donnée historique précédemment évoquée : la sociologie définit trois grands paradigmes relatifs au monde de l’art – classique, moderne et contemporain, tandis que l’histoire de l’art fixe le commencement de la période « Moderne » à l’année 1870, début de l’impressionnisme, son épilogue à celui de la seconde guerre mondiale, l’année 1945. Le paradigme contemporain est par conséquent le paradigme actuel, toute production réalisée aujourd’hui dans un style historiquement attribué à une période artistique antérieure devenant de ce fait obsolète.

Prémices

Les adeptes des mouvements tels le Dadaïsme, le Cubisme, le Futurisme, le Constructivisme, etc, ont à partir de la fin du XIXᵉ siècle entamé une réflexion, souvent radicale, à propos de la notion d’œuvre d’art. Ils délaissent la prouesse technique, la minutie et le savoir-faire au bénéfice de la profondeur réflexive, de la capacité à exprimer, à signifier. Ces avant-gardes vont ainsi fissurer la conception esthétique, lisse est nette de l’œuvre académique. L’œuvre peut être une idée, une phrase, un objet manufacturé tel le Ready made.

Chronologie

La destruction massive inhérente à la seconde guerre mondiale a transféré les véritables valeurs de l’objectif vers le spirituel. Le développement de la société de consommation, l’augmentation de la production de biens manufacturés, la croissance économique, alliée à l’essor d’une classe moyenne dans les pays industrialisés, vont susciter la réaction de certains artistes. La représentation matérielle figurative à ainsi été abandonnée au profit d’un arbitraire abstrait, susceptible d’incarner le concept de la prédominance de l’esprit. L’art contemporain revendique d’être expérimenté et appréhendé tel une nature inconnue. Il est une réflexion permanente, une recherche fondée sur l’expérience artistique antérieure.

Démarche d’abord transgressive, fondée, inscrite dans l’histoire de l’art et des sociétés, il définit sa propre grille de lecture, ses codes, ses courants de pensées. Prenant appui sur les nouvelles technologies, il s’affranchit du champ artistique propre au XIXᵉ siècle. L’art contemporain est – par définition – vivant, « en train de se faire », synchronisé au moment présent. La variance de ses modalités de présentation contribue à surprendre, voire à déranger le spectateur, à diversifier son accès à l’œuvre sans avertissement préalable, à éventuellement l’y intégrer à son insu, à bousculer ses certitudes, à affiner sa perception, comme sa sensibilité. Celui-ci ne contemple plus l’œuvre, il en déclenche l’effet. Le choc qui résulte de la confrontation à l’œuvre en révèle la substance.
Au niveau plastique et formel, la rupture avec l’art classique est évidente en ce qui concerne les médiums utilisés, la technique de travail et la présentation des œuvres.
Les artistes s’affranchissent des usages et explorent les possibilités plastiques de toutes les matières. La totale liberté de création repousse les limites propres à la peinture comme à la sculpture, rehaussant l’aspect subversif inhérent au concept, la subversion pouvant même représenter l’intérêt majeur d’une œuvre.
Les nouvelles technologies ouvrent à de nouvelles formes d’expression.

L’apparition de la photographie au XIXᵉ siècle exercera une influence sur de nombreux artistes. Initialement destinée à restituer la nature, elle permit d’investiguer d’autres objectifs, d’expérimenter de nouveaux concepts.

Décriée par Baudelaire, qui craint de la voir remplacer la peinture, elle peut être considérée comme une des sources ayant inspiré l’avènement de l’art contemporain. Elle incite les artistes à repenser la fonction de l’art, dont la finalité devient le questionnement, l’interpellation, la critique, la révélation du réel, de ses crises et contradictions. L’utilisation de la vidéo en tant que moyen d’expression artistique, apparaît au début des années 1960 et demeure très prisée.

Les nouveaux moyens d’expression mènent à de nouvelles formes de présentation, à la recherche permanente de nouveaux défis, de changements technologiques, de nouvelles opportunités. Loin d’être une finalité, la forme tire sa légitimité d’une relation avec un concept fort.

L’émergence des nouveaux moyens d’information et de communication a propagé, voire banalisé la renommée des œuvres et des artistes.

En France, l’instauration des facultés consacrées à la pratique des arts plastiques (1968-1969) constitue une des principales bases de contestation de l’enseignement académique des beaux-arts. La sociologie et l’ethnologie intègrent désormais la recherche artistique. De nouvelles pistes de recherche conceptuelles modifient signification et perception de l’art. La performance et l’installation modifient sensiblement la médiation artistique. De nouveaux médias de diffusion s’ajoutent aux nouveaux concepts d’exposition et aux nouvelles galeries.

Le courant postmoderniste, présent du début des années 1960, jusqu’à la fin des années 1980, a exprimé la plupart des problématiques soulevées par le questionnement relatif à l’art contemporain. Concernant l’esthétique, les théories postmodernistes développent l’idée d’une fin de l’œuvre d’art, généralement annexée à la thèse de la perte de toute valeur idéale ou métaphysique.

La décennie 1980 voit l’apparition des courants artistiques à composantes technologiques tels l’informatique, le numérique, la biologie, etc. Cette liste non exhaustive est concomitante aux progrès de la recherche industrielle. L’attrait pour la rapidité et la facilité qu’autorise la société de consommation se matérialise dans le travail de certains artistes. L’implication dans le processus créatif demeure toutefois impératif à la formulation d’une œuvre pertinente. L’artiste veillera ainsi à éviter le piège de la facilité qu’offre le soutien technologique à la création artistique.

L’art contemporain occidental s’ouvrira ensuite aux artistes issus des pays dits en voie de développement. Les paradigmes de la globalisation et la perte des repères spatio-temporels conventionnels valorisent les modes d’approche typiques et les composantes biographiques et sociologiques.

En amont des expositions, internet joue un rôle de plus en plus important dans la médiatisation de l’art contemporain. Des conseillers avisent gratuitement au sujet des probabilités d’avenir des artistes émergents. Les changements survenus au sein des pays les plus informés ont suscité un besoin d’art de plus en plus important. L’art contemporain est particulièrement friand de nouveaux médiums. La vocation éphémère ou « en cours » de nombreuses œuvres contribue à utiliser le médium en tant que vecteur de médiation, plutôt qu’en qualité de support stable, parallèlement au phénomène de dématérialisation progressive des supports d’information au profit d’une logique relationnelle.

La critique d’art et les institutions jouent un rôle important dans la recherche permanente d’une définition de la contemporanéité. Les formes d’art dont les problématiques ne reflètent pas les tendances promues par la critique sont ainsi généralement exclues de la démarche labellisée contemporaine. D’un point de vue géographique, à partir des grandes places artistiques occidentales et de la Chine, après la chute du Mur de Berlin, la planète de l’art contemporain s’est mondialisée, l’Afrique et l’Amérique latine n’ayant pas évité la progression du processus d’extension du phénomène.

Art contemporain et Moyen Âge

L’art est-il aujourd’hui en situation de crise ? L’analyse du phénomène des ready-mades de Marcel Duchamp peut vraisemblablement éclairer une opinion à ce propos. Généralement datées de la période entre 1913 et le début des années vingt, ces réalisations ont inspiré différents artistes. Cette tendance s’est pleinement imposée aux États-Unis dans les années cinquante et dix ans plus tard en Europe, sous l’influence du mouvement Fluxus et de ses variantes.

La présentation d’un objet manufacturé brut ou très légèrement modifié va requérir un dispositif de présentation qui intègre l’objet en tant qu’œuvre d’art. Cet « art d’accommoder » sera, selon les tendances, les époques et les sensibilités, accueilli comme une capacité à renouveler les avant-gardes ou tel l’épuisement d’un processus répétitif.

Une réflexion alternative relative à la pertinence sociétale de cet aspect de l’art du XXᵉ siècle, tentera de démontrer que ce concept est simplement l’effet d’un déplacement des techniques de l’esprit déjà d’application pendant les derniers siècles du Moyen Âge, comme dans le courant de la Renaissance, époques antérieures au développement du concept moderne d’une science autonome. L’Art de mémoire – Ars memoriae – ou méthode des lieux, est une méthode mnémotechnique principalement utilisée pour mémoriser de longues listes d’éléments ordonnés. Elle est basée sur le souvenir de lieux connus, auxquels on associe la mémorisation d’éléments neufs. Enseigné pendant des siècles dans les universités en tant que partie de la rhétorique et de la dialectique, il permettait à un orateur de rapidement retenir un discours.

Mais si la pensée se fonde exclusivement sur la connaissance restituée par la mémoire, elle suscite immanquablement un questionnement relatif au rapport inhabituel à l’art instauré par les nouveaux lieux d’exposition, comme par les techniques de figuration indirecte : « Qu’est devenu l’art dans la société actuelle ?

Comment s’intègrent à la mémoire collective les contenus sensoriels mémorisables et l’initiation de l’imagerie mentale et matérielle ?

Les images collectives supplantent l’imagination individuelle socialement peu exprimée : quel est l’objet du partage ? À qui est-il destiné ?

Quel contexte rendra ces données effectivement perceptibles aux destinataires souhaités ?

Dans quelle mesure la technique influence-t-elle le sens des moyens d’expression ?

Au XXᵉ siècle, le curateur suisse Harald Szeeman (1933-2005) fut le précurseur de présentations d’avant-garde aux thèmes atypiques : « Quand les attitudes deviennent formes » – Kunsthaus de Berne en 1969 et « Mythologies individuelles » – Documenta 5 à Kassel, en 1972. Leur principe concepteur témoigne du parallélisme instauré par Szeeman entre L’Art de mémoire et des options artistiques innovantes : La première prônait la convergence de démarches artistiques neuves et d’un lieu d’exposition « classique » reconnu en tant-que-tel ; la seconde posait l’accent sur le statut ambigu d’œuvres dont la témérité innovante exigeaient une clé explicative, résultat contraire au souhait des artistes qui souhaitaient l’accès de quiconque à l’œuvre en dépit de toute intention créatrice.

Le développement des recherches et des travaux des figures mythiques de l’histoire de l’art du XXᵉ siècles, Marcel Duchamp et Joseph Beuys contribuent certainement à la compréhension de la raison d’être et des objectifs initiaux poursuivis par l’art appelé contemporain.

Joseph Beuys vs Marcel Duchamp

Le concept de Marcel Duchamp

Le ready-made de Duchamp est lié à l’essor des sociétés industrielles. En attribuant le statut d’œuvre d’art à des objets manufacturés, Duchamp les a rendus disponibles à une expérience artistique accessible à tous, principe ultérieurement confirmé par le concept de la sculpture sociale de Joseph Beuys, lequel propose une œuvre accessible, réalisable par tous. Cette vulgarisation de la réalisation artistique et l’importance accordée à l’avis du public dans la reconnaissance et la détermination de l’œuvre constituent des éléments typiquement duchampiens. Le concept élargi de l’art développé par Beuys attribue une valeur artistique à la totalité des échanges et de la production humaine, origine de sa célèbre affirmation : « Tout homme est un artiste. »

L’expérimentation artistique réalisable par tous donnera accès au caractère exemplaire de l’œuvre. En 1917, l’œuvre Fontaine de Marcel Duchamp ne sera pas exposée lors de la première exposition de la toute neuve Society of Independent Artists de New York et définira les bases de la postérité problématique persistante du ready-made. En 1912, lors du Salon des Indépendants de Paris, son tableau Nu descendant un escalier, avait été refusé, vraisemblablement estimé trop radical. En tant que membre du comité d’accrochage du salon New-Yorkais, Duchamp a-t-il voulu comparer le potentiel de tolérance et d’ouverture de la jeune société des artistes indépendants américains à celui de son aînée parisienne ? Est-ce là l’origine de l’impulsion de la polémique générée par Fontaine ?

Peu de temps avant l’inauguration, suite d’une conversation avec

d’autres membres de l’organisation, il acquit un urinoir chez un plombier, le signa « R. Mutt 1917 » et l’envoya à l’exposition.

Ce patronyme fantaisiste peut laisser envisager que Duchamp ait anonymement voulu tester l’ouverture d’esprit des organisateurs, mais l’orientation de cette signature inverse le sens d’installation de l’objet et lui attribue, de ce fait, un usage différent.

R. Mutt exprime une série de jeux de mots. La distorsion du nom du fabriquant J. L. Mott Iron Works, la référence au titre d’une bande dessinée humoristique américaine Mutt and Jeff. Mutt,est une expression américaine qui désigne un chien bâtard et, par extension, une personne stupide.

Concluant, selon ces indices, à une plaisanterie de mauvaise foi, les membres du comité organisateur obtinrent du comté directeur qu’il refuse Fontaine, acte contraire à l’engagement fondateur de la société de ne pas exercer de sélection des œuvres présentées. Duchamp démissionna alors sans avoir revendiqué la réalisation de l’œuvre. Le second numéro du journal Blindman, édité pendant l’exposition, évoqua l’affaire. La photo de Fontaine en couverture, est aujourd’hui la seule trace visuelle de l’objet original.

L’exposition d’une œuvre initie une série d’actions, dont la première est la mise en place. Le débat qui aboutit à la censure concluait qu’un urinoir, fut-il « modifié », ne pouvait prendre place dans les locaux du Grand Central Palace, siège de l’événement artistique. Fontaine fut donc refusé à New-York, de la même manière que précédemment, la toile Nu descendant l’escalier fut refusée au salon de Paris. La différence fondamentale entre ces faits identiques réside cependant dans la nature même des objets : si le premier est un ustensile à usage sanitaire auquel seul le placement dans un lieu d’exposition était susceptible de conférer le statut d’œuvre, le second demeure une création artistique admise en tant-que-telle. Dans cette logique, seule la mise-en-scène serait susceptible de modifier la perception d’abord, la qualité ensuite de l’objet présenté. Les modifications de la nature de l’objet suggérées par l’inversion de son orientation initiale, comme par le positionnement de la signature font intégralement partie du procédé de réalisation d’un nouvel objet, qualifié de sculpture, dans une lettre de Duchamp adressée à sa sœur en avril 1917. Comme le nom Mutt instaure diverses allitérations ironiques, l’appellation fontaine brocarde au sujet de la vocation initiale de l’objet, en inversant cause et effet : uriner et boire.

Présenter des figures dans des lieux destinés à cet usage est une pratique antique, qui a contribué à élaborer la mémoire collective. Ces endroits, pôles spatiaux familiers de juxtapositions sériées et connues, confèrent ainsi le statut d’œuvres reconnues aux représentations qu’ils abritent.

L’art contemporain se veut avant tout la proposition d’élaboration d’une expérience partant de vestiges événementiels, dont la mise en lieu signale le potentiel figuratif. Les musées ou galeries d’art contemporain, locaux parallélépipédiques aux murs blancs et/ou singularisés par une architecture spécifique, servent de réceptacle aux œuvres, qui y acquièrent un potentiel significatif inédit, non repérable, indépendamment de leur contexte. Comme en ce qui concerne l’Ars memoriae, cette tentative de construction de l’expérience s’appuie sur des opérations dynamiques, par lesquelles la mémoire individuelle s’approprie inconsciemment les événements, les verbalise, les matérialise. Il s’agit d’une épreuve commune de modes de figuration, d’abord sensuellement expérimentée, avant d’être pensée et raisonnée. Ce partage reconnu, mais méconnu, revêt habituellement la forme du trauma, cause des réactions de rejet, forme banale de la réception de ces œuvres. Les interventions préalables à la présentation de Fontaine transforment l’objet en une représentation ironique, à connotation agressive et sexuelle. Sa charge d’allusions grivoises, d’humour noir, d’absurdité cynique, voire de simple bêtise ne constitue pas la représentation directe d’un contenu, mais l’indication inévitable qu’un certain mode de figuration est à l’œuvre. Laideur, obscénité, vulgarité, stupidité suscitent la perception de l’objet par le spectateur. À cet égard, la déclaration de Marcel Duchamp « Un tableau qui ne choque pas n’en vaut pas la peine » ou celle de Joseph Beuys « Le mouvement naît d’une provocation » sont parentes des préceptes contenus dans les traités d’Ars memoriae, selon lesquels les figures destinées à être présentées en vue d’assurer leur potentiel affectif, seront « aussi frappantes que possible » – d’une beauté ou laideur extrême, violentes, ridicules…

La référence à l’Ars memoriae et aux analyses freudiennes suscitent un questionnement quant au nouveau rapport établi entre les techniques d’élaboration artistique, la problématique de la mémoire et le statut de l’art.

De quelle manière est perçue une présentation socialement incongrue par un destinataire lambda ? Dans quelle mesure celui-ci pourra-t-il établir une relation entre l’objet présenté et l’idée originelle? La réponse de Duchamp est ironique et contradictoire ; devant les tentatives multipliées d’interprétation de ses œuvres il a gardé le même flegme imperturbable et distant, affirmant, à l’instar de Leonardo da Vinci, la dimension intellectuelle de son travail.

Revendiquer pour les ready-mades le statut de nœuds de pensées autonomes et tangibles sans autre interprétation en affirmant la réalité d’une relation au-delà du conscient, entre artiste et spectateur, définit une forme de

sociabilité personnelle, que Duchamp tente de définir dans un laïus prononcé à l’occasion d’une table ronde consacrée au processus créatif, à Houston en 1957. Qualifiant l’artiste d’être médiumnique, dont les décisions restent principalement intuitives, phénomène qu’il nomme coefficient d’art personnel, Duchamp exprime la différence entre le projet initial et la réalisation finalisée, la relation entre l’inexprimé projeté et l’exprimé non intentionnel. Ce coefficient est censé définir le mécanisme subjectif qui justifie l’œuvre, dont la procédure d’évaluation qualitative est exclusivement dévolue au spectateur. Le fait que l’artiste soit dépourvu de contrôle conscient au sujet de ses réalisations, comme de l’effet qu’elles peuvent produire, serait selon Duchamp, un transfert de l’artiste vers le spectateur, une osmose esthétique via le médium. La relation artiste/spectateur ne s’affirme donc pas consciemment. La réaction du spectateur, comme son analyse préalable indispensable n’attribuent à ses appréciations aucune valeur interprétative propre et évitent de les hiérarchiser ; chaque spectateur introduit l’œuvre dans le réel. La transition de l’appréciation de l’œuvre selon le regard et l’avis du spectateur implique une innovation que Duchamp qualifie d’osmose ou d’échange entre substances, initiateur de flux de valeurs esthétiques.

L’œuvre peut ainsi être envisagée selon deux critères distincts, selon qu’elle est exclusivement considérée dans le rapport intime avec son créateur, ou lorsqu’elle est soumise à la vue, à l‘appréciation publique.

Les dires de Duchamp peuvent partiellement expliciter l’efficacité des nouvelles œuvres, comme nuancer l’appréciation actuelle des œuvres du passé. L’artiste est libre d’avancer certaines idées incluant une charge affective par le truchement d’un objet, lesquelles obtiendront ou non l’attention du spectateur, comme la reconnaissance de la légitimité du travail proposé.

Ceci relève également de la part inconsciente de la production artistique, comme de la perception du travail et de son empreinte sociétale.

Mais ces paramètres ne concernent quasiment pas la destination artistique des créations dont question, hormis en tant qu’épisode anecdotique hasardeux plus ou moins réussi. D’autre part, en octroyant abstraitement un large espace aux processus inconscients, ils n’envisagent pas l’influence que sont susceptibles d’exercer les techniques d’élaboration sur le ressenti du spectateur.

Le livre « Marcel Duchamp: Richard Mutt’s Fountain », de l’artiste et curateur, Stefan Banz, revient à l’analyse du phénomène engendré par l’urinoir baptisé Fountain, assurément une des œuvres d’art les plus célèbres du XXe siècle. Selon une affirmation, récurrente à l’époque, Fountain aurait été le fait de la baronne Elsa von Freytag-Loringhoven, égérie des dadaïstes new-yorkais, tandis que les recherches de Stefan Banz préconisent plutôt la personne de Louise Norton, amante et complice de Duchamp au moment de la présentation de l’œuvre à la Société des artistes indépendants de New York.

Ouvert aux démarches participatives, Duchamp pouvait inévitablement compter sur des acolytes pour fomenter sa provocation, mais, Elsa von Freytag-Loringhoven ne faisait pas ici partie de la clique. L’association entre Fountain et sa personne est due à une interprétation erronée par sa biographe, de révélations mentionnées dans le livre New York Dada 1915-25, de Francis Naumann. Stefan Banz considère que Fountain met à mal la notion d’original, tellement rémanente dans l’histoire de l’art, l’œuvre photographiée par Alfred Stieglitz en 1917 n’ayant finalement jamais été exposée au public. Exclue de l’exposition, elle a disparu, sans jamais réapparaître, réduite à une image devenue iconique.

Une photo de l’atelier new-yorkais de l’artiste, témoigne toutefois d’un urinoir accroché au mur. L’agrandissement de celle-ci montre qu’il ne s’agit pas du même exemplaire que celui immortalisé par Stieglitz, ce qui interroge quant à l’importance accordée par Duchamp à l’œuvre physique : il est de notoriété publique qu’il ne se préoccupait pas exagérément du devenir de ses ready-mades, disparus pour la plupart.

Le catalogue des différents modèles d’articles sanitaires proposés par l’entreprise J. L. Mott Iron Works ne propose pas de modèle identique à celui photographié par Stieglitz. Duchamp aurait-il emprunté un autre avant de le rendre une fois son buzz réalisé ? A-t-il modifié un urinoir dans le but de démontrer sa théorie de l’inframince, relative à la question des différences quasiment imperceptibles ? Dans l’affirmative, l’objet ne serait donc pas produit en série, hypothèse rendue très intéressante par la réapparition de divers avatars de Fountain, indifféremment agréés par l’artiste. Dès 1938, des reproductions miniatures – donc non industrielles – font partie des exemplaires de Boite-en-valise, rétrospective de l’univers duchampien. En 1950, Duchamp accepta, d’en signer un nouvel exemplaire – issu du Marché aux Puces de Paris – à l’initiative du galeriste Sidney Janis. En 1963, Duchamp récidiva ensuite d’une demande similaire du critique Ulf Linde.

L’édition spéciale de 12 spécimens, émise en 1964, par la Galerie milanaise Arturo Schwarz fut réalisée par la technique du moulage, le modèle initial étant une sculpture. S’agirait-il d’un nouveau pied-de-nez à la tradition de l’histoire de l’art académique ?

Les trouvailles recensées par Stefan Banz, le portrait fouillé qu’il dresse de Fountain, de sa longue trajectoire et de son impact dans le monde de l’art, retracent avec perspicacité la manière dont une idée, ou comment l’idée génératrice d’une œuvre demeurée longtemps hypothétique, est capable de parcourir le temps et la matière, lorsqu’elle sait conserver attentif l’esprit de son public. La subtilité conceptuelle et l’heureuse trajectoire de Fountain, n’ont certainement pas achevé d’alimenter les discours.

Le concept de Joseph Beuys

L’œuvre de Joseph Beuys développera davantage la réflexion. L’attitude désinvolte de Duchamp à l’égard de l’interprétation de ses productions a longtemps crédité l’hypothèse d’une œuvre cyniquement gratuite, ou d’une imposture réussie.

Dès son adhésion au concept Fluxus, dont la devise est « l’art, c’est la vie », Beuys revendique l’influence qu’exercent les idées de Duchamp sur sa propre recherche. Fidèle à un concept élargi de l’art, il va tenter de remédier à ce qu’il considère comme la finalité stérile de l’anti-art de Duchamp, privilégiant le statut de l’œuvre et sa finalité au détriment des procédés figuratifs et des buts idéaux.

L’œuvre de Joseph Beuys est construite comme un véritable projet politique. Il a étayé son projet artistique de conférences, d’œuvres sculpturales et de performances artistiques, constituants de la catharsis qu’il a estimé devoir transmettre afin de provoquer un nécessaire changement sociétal. Le chamanisme revisité inspirant son œuvre vise à rétablir les liens sociaux, à résorber les inégalités, à accomplir le projet révolutionnaire séculaire. Ses actions symboliques sont censées aboutir à l’auto-guérison de la société par le biais de l’art. Selon lui, chaque homme est un artiste ; la créativité libère et le seul acte plastique véritable, consiste à développer la conscience humaine.

Le concept de Duchamp a donc acquis une importance certaine pour Beuys, ce dont témoignent des œuvres tels Baignoire (1960) ou Chaise de graisse (1964), qui reflètent l’esprit des premiers ready-mades.

La première, en métal blanc émaillé, a servi à ses propres ablutions enfantines ; elle intègre son atelier pendant plusieurs années. Ses bords sont parés de bandes de sparadrap et de gaze imprégnée de graisse, une darne de graisse étant placée au fond de la cuve. Le lien physique entretenu autrefois

avec le corps de Beuys confère à la baignoire le statut de relique, tandis que l’incongruité du sparadrap, de la gaze et de la graisse conforte sa réalité objective.

Un des rares commentaires de l’artiste à ce sujet consiste en une double négation :

– L’objet de l’œuvre n’est pas principalement autobiographique.

« Mon histoire personnelle n’a d’intérêt que dans la mesure où j’ai tenté d’utiliser mon vécu et ma personne comme un instrument, ce en quoi je crois depuis mon plus jeune âge.

– Il n’est pas le sujet d’une réflexion personnelle.

« Baignoire n’est pas un ready-made. L’accent est mis, à l’inverse, sur la signification de l’objet, qui confirme le fait d’être né dans tel milieu, à tel endroit. »

Le refus de Beuys d’assimiler d’une quelconque manière l’œuvre Baignoire au concept du ready-made, précise a contrario, le lien évident entretenu avec le dit concept et très précisément avec Fontaine, les deux objets étant des récipients dévolus au bien-être sanitaire humain.

Les processus d’aménagement et de figuration par le contraire permettent à l’une et l’autre œuvres d’emporter, comme l’a écrit Duchamp, l’esprit du spectateur vers des régions plus verbales. Baignoire met effectivement en œuvre des stratégies ironiques, similaires à celles attribuées à Fontaine, à travers une série d’oppositions telles soins/blessures, vasque vide, blanche et froide/eau chaude du bain. Enfin, dans la dimension biographique qui demeure la sienne, le robinet de vidange évoque vraisemblablement un sexe d’enfant mâle, mentionnant la différence des genres déjà sous-jacente dans Fontaine.

Réalisée quatre ans plus tard, Chaise de graisse se matérialise par une chaise de cuisine en bois peinte en blanc, dont le siège et l’espace entre celui-ci et le dossier sont occupés par un amas de margarine biseauté. Exposée au Hessisches Landesmuseum Darmstadt, section Block Beuys, elle y jouxte l’œuvre Coin de graisse, réalisé la même année à la demande d’une émission de télévision allemande, durant l’action « Le silence de Marcel Duchamp est surestimé ». Celle-ci se présente sous la forme de deux parties de palissade formant un angle aigu occupé par une coulée de graisse.

Beuys admettra la comparaison entre son travail et les ready-mades de Duchamp pour leur concept humoristique commun, destiné à établir l’impact initial fondamental, généré par les « techniques de l’esprit », mais persistera à réfuter toute autre similitude. Cette attitude conforte cependant la pertinence de l’analogie : Chaise de graisse comme Roue de bicyclette, suggèrent le mouvement potentiel – d’une masse de graisse souple pour l’un, d’une roue pour l’autre – posés sur un siège manufacturé.

Le vocable Fettstuhl – chaise de graisse – susceptible d’être précisé par la signification du terme analogue anglais stool – tabouret, selles – est en soi un jeu de mot destiné à initier force images, ainsi qu’une évidente référence à la Roue de bicyclette duchampienne et plus généralement, à l’importance dévolue au message écrit, par l’artiste français, dans la perception de l’œuvre.

La graisse, matière organique, adjointe aux objets manufacturés, provoque également la stratégie de choc destinée à créer l’impact initial, l’efficacité psychologique qui suscite diverses réactions telles le dégoût, l’irritation, l’indignation, la gêne…

La finalité de la stratégie respective des deux artistes est cependant différente :

Beuys constate que Duchamp s’est reclus et complu dans le silence, qu’il n’a finalement pas explicité ses motivations et intentions relatives à l’avènement du ready-made. Ceci justifiera la performance télévisée de Beuys intitulée « Le silence de Marcel Duchamp est surestimé », en décembre 1964. L’action se comprend alors comme l’éloge de l’inaction artistique en tant que l’ultime pied-de-nez dadaïste proposé par Duchamp.

Beuys réitérera cette affirmation dans un contexte différent lorsque l’installation « Étant donnés : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage», projet secrètement réalisé par Duchamp, entre 1946 et 1966, à New-York, aura été publiquement présentée, après le décès de l’artiste, en 1969 ; il déplore alors que le silence duchampien n’ait conféré aucune énergie aux ready-mades, hormis son intention de « choquer le bourgeois » : « L’intention du silence de Duchamp revient à vouloir laisser l’inconscient passif. […] Il n’a fait que refouler ses idées. Il faudrait traduire son silence par la notion de “forclusion définitive du langage” […] Duchamp n’a abouti à rien, ni d’un point de vue politique ni à l’égard des développements internes à la sphère esthétique. »

À partir des sixties, le langage acquiert une part de plus en plus importante dans l’activité artistique de Beuys, tendance différente de ses actions et installations précédentes : sa participation à la Documenta de Kassel en 1972 consistera ainsi à tenir une permanence au bureau de l’Université internationale libre (F.I.U.), qu’il a cofondée l’année précédente, soit à venir chaque jour dialoguer avec quiconque le souhaite.

Les travaux de Beuys viseront ensuite à démonter la capacité exemplaire de l’œuvre à stimuler mémoire et souvenir, en vue d’établir la symbiose entre la construction d’un espace social et l’individuation. La finalité de ces projets étant l’élaboration et l’évolution de l’expérience collective.

La matérialisation en objets et/ou actions des concepts proposés verbalement trouve-t-elle un écho efficace chez le spectateur ? Bien qu’elle provoque inévitablement réactions et pensées, est-elle effectivement apte à totalement transmettre et respecter l’intention première de son auteur?

La théorie de la Sculpture sociale énoncée par Beuys ne peut se concevoir sans l’apport d’objets qui la traduise, tels Chaise de graisse et Coins de graisse, travaux réalisés sous l’égide conjointe des réactions et du débat qu’ils sont censés provoquer. « Mon intention initiale en utilisant la graisse était de stimuler la discussion. La souplesse du matériau m’attirait particulièrement à cause de ses réactions aux changements de température. Cette souplesse est psychologiquement efficace – les gens sentent instinctivement que cela est en relation avec des processus internes, des sentiments. […] La discussion que je voulais concernait le potentiel de la sculpture et de la culture, ce qu’elles signifient, ce qui concerne le langage, la production humaine et la créativité. J’ai donc pris une position extrême dans la sculpture, et un matériau de base pour la vie, sans lien avec l’art. […] Aujourd’hui, quinze ans plus tard, je peux dire que sans les véhicules qu’ont été Chaise de graisse et Coins de graisse, aucune de mes activités n’aurait eu un tel effet. Cela a mis en branle un processus presque chimique chez les gens, qui aurait été impossible si j’avais uniquement parlé théorie. »

Outre l’impact immédiat de l’œuvre – humoristique, voire répulsif – Chaise de graisse polarise l’ensemble du projet artistique de son auteur. L’amorphisme de la graisse contraste à la géométrie rigoureuse, à la stabilité de la chaise de bois. De la même manière, le plan biseauté lissé de la matière graisseuse est l’antithèse de ses plans latéraux laissés en l’état d’agrégat disparate.

Pour Beuys, la mutation de l’informe vers le structuré est un élément fondamental de la sculpture, comme de l’action. Appliqué aux domaines psychique et sociétal, ce processus définit une notion élargie de l’art, susceptible d’aplanir les inégalités relatives au droit, à l’économie, à l’enseignement, etc. Cette notion de « formation universelle » justifie la célèbre citation : « Chaque homme est un artiste », logiquement due au fait que « tout travail humain est de l’art puisque l’homme est un être doué de créativité ».

La dimension idéaliste du discours de Beuys, se reflète ainsi dès l’aube des sixties, par ses installations d’objets propices au souvenir, à la mémoire. Elles témoignent de son action en faveur de la démocratie égalitaire. Les moyens déployés sont d’ailleurs accessibles à chacun. Perçus peu ou prou consciemment par le spectateur, l’humour, l’ironie, les détournements d’objets, leurs contre-emplois, suscitent les mécanismes psychologiques propres à chaque être humain – imagination, rêve, lapsus, acte manqué, etc – susceptibles d’entraîner une gamme de réactions variées, qui, fussent-elles de rejet, n’atteignent cependant pas à la compétence de l’artiste, pas plus qu’elles ne sous-entendent une éventuelle décadence de l’art. Elles attestent de l’efficacité des œuvres à activement solliciter le psychisme du spectateur.

Les quelques citations suivantes, traduites de la langue allemande sans être reformulées afin de conserver leur authenticité, témoignent des convictions de l’artiste, comme de sa quête de l’authenticité :

« Tout ce qui concerne la créativité est invisible, est substance purement spirituelle. Le travail de cet invisible est ce que j’appelle la sculpture sociale. Ce travail avec l’invisible est mon domaine. D’abord, il n’y a rien à voir. Ensuite, lorsqu’il s’incarne, il paraît d’abord sous forme de langage ».

« Ces formes invisibles, ne restent invisibles que tant que je n’ai pas d’yeux, point d’organes pour pouvoir percevoir ce qui est apte à devenir image. Pour qui sait donc se créer un organe de perception, ces formes sont perceptibles. »

« Mon intention initiale, en utilisant de la graisse, était de stimuler la discussion. La souplesse du matériau m’a surtout attiré pour ses réactions aux changements de température. Cette souplesse est psychologiquement efficace : instinctivement, les gens l’associent aux processus internes, aux sentiments. Je voulais une discussion sur les potentialités de la sculpture et de la culture, leur signification, sur la nature du langage et de la créativité humaines. Aussi ai-je adopté dans ma sculpture une position extrême, choisissant un matériau essentiel à la vie et sans lien avec l’art. Je n’ai pas exposé l’oeuvre à l’époque, mais ceux qui l’ont vue alors, étudiants, artistes, ont eu des réactions vraiment étranges, qui confirmaient mes prévisions. Ils se mettaient à rire, se fâchaient ou tentaient de détruire tout cela . »

« Penser est déjà sculpter. »

« Car il faut dire avant tout que les animaux sont les représentants d’une force vitale qui a été totalement écrasée par le principe technologique : ce sont eux les victimes de notre prétendue civilisation. Rien que pour cette raison ils ont leur place dans mes dessins comme porteurs de la vie dans toute sa richesse. Ou alors : comme un organe de l’homme, comme un organe directement relié à l’homme. »

« Les révolutionnaires et les révolutions n’ont pas réussi à produire autre chose que des effusions de sang. Ainsi, c’est comme s’il n y avait jamais eu de révolutionnaire en ce monde. Ainsi, jamais encore au monde n’a eu lieu cet acte de transformation qui liera la vie à la vie et cette vie-ci à une autre. Car c’est la seule chose que l’on puisse définir par transformation de ce qu’a reçu l’homme : la vie! Nous n’avons pas besoin d’entrer dans la vie : nous vivons déjà dans un être vivant, pris en nous même en tant qu’être vivant. Nous savons que nous avons cela en partage avec les animaux. »


« Ça fait longtemps que j’ai quitté le soi-disant art moderne. »

« C’est clair, lorsque certaines idées ou certaines énergies de l’homme, qui tendent à une réalisation, se heurtent à de gros obstacles et sont par conséquent freinées – comme c’est aujourd’hui le cas pour tous ces hommes qui voudraient aller plus loin mais que les circonstances quotidiennes de la vie et les systèmes politiques bloquent – il se produit tout simplement un effet de rayonnement. C’est cette volonté entravée qui rayonne. Voici aussi le sens de certaines sculptures très ramassées, denses comme les tas de feutre que j’appelle agrégats ou machines productrices d’énergie – non parce qu’elles produisent du courant électrique, mais parce qu’elles sont censées avoir ce rayonnement intérieur. Au sens métaphorique, bien sûr. Elles fournissent une indication sur une force qui devrait être mise en œuvre dans chaque homme. »

« Les forces qui sont à l’œuvre dans la sculpture sont celles qui sont à l’œuvre dans l’homme. Toujours en prenant comme critère les énergies présentes dans les matériaux et dans leur forme, je constate que les énergies indéterminées sont celles qui existent dans la volonté de l’homme, que les énergies motrices sont celles de son affectivité (au centre) et que le principe de la forme se retrouve en haut, dans la tête (là où les gens localisent le siège de la pensée). Vous avez donc là un élargissement de la notion d’art dans un sens anthropologique qui fait éclater les limites du concept d’art moderne. Dans la mesure où ses principes fondamentaux s’étendent à l’homme dans sa totalité. »

Quelques œuvres remarquables :

1972 :

Le 1er mai 1972, place Karl Marx à Berlin ouest, pendant le défilé, l’artiste attend sur le trottoir, appuyé sur le manche d’une large brosse à poils rouges. À l’issue de la manifestation, accompagné d’un étudiant Asiatique et d’un autre, Africain, sociétaires de l’Académie de Düsseldorf, tous deux munis de sacs aux couleurs de l’Organisation pour la Démocratie Directe, Beuys balaie la place Karl Marx de Berlin-Ouest, après une manifestation de l’opposition. La poussière et les tracts seront assemblés contre un mur de la galerie Block. L’artiste forme ensuite un tas rectangulaire au son de l’Internationale et place la brosse à côté du tas. Cette performance témoigne de la nécessité de renouveler l’idée marxiste selon le concept de la démocratie directe que tente d’initier Joseph Beuys.

1974 : Coyote – I like America and America likes Me

Action parmi les plus spectaculaires ayant été réalisées par l’artiste ; elle inaugure l’ouverture de la galerie René Block à New York en mai 1974. Un espace de la galerie délimité par un grillage hébergera pendant trois jours et deux nuits, Joseph Beuys et un coyote.

L’artiste refuse de poser les pieds sur le sol des États-Unis avant la fin du conflit au Vietnam ; il se fait transporter sur une civière de l’aéroport JFK de New York à la galerie de Manhattan où il vivra en huis clos – mais visible par le public – avec un coyote symbolisant le premier occupant du territoire américain. Ce faisant, il utilise l’image ambiguë du vaincu (le coyote – animal sacré pour les Indiens – symbolise, dans l’interprétation de Beuys, le traumatisme sociétal américain, né du conflit ayant opposé le peuple indien à l’envahisseur blanc lors de la conquête du territoire par ce dernier, soit le triomphe de la société capitaliste). Il étend à son projet au cadre universel de la communication instinctive et stratégique, matérialisée par la présence physique, les sens et la perception instinctive.

C’est en chaman — rituels précis et gestes ésotériques à l’appui — que Beuys entre en contact avec l’animal. Il quittera le pays de la même manière qu’il l’a rejoint, sans poser les pieds sur le sol, le corps roulé dans une couverture de feutre, transporté en urgence dans une ambulance, jusque l’aéroport.

1958-1985 : Éclair illuminant un cerf (Blitzschlag mit Lichtschein auf Hirsch)

Installation monumentale acquise par le Musée Guggenheim de Bilbao en 2001. Achevée un an avant son décès, elle est l’expression de certaines théories et mythologies abordées par l’artiste au long de son parcours. Son ultime intention est vraisemblablement de définir la sculpture sociale. Davantage soucieux de stimuler l’idée que de la matérialiser, Joseph Beuys a tenté de transférer son idée créatrice à la société.

Biographies

Biographie de Marcel Duchamp

Marcel Duchamp (1887-1968) est un peintre, plasticien, homme de lettres français, naturalisé américain en 1955. Considéré par beaucoup comme l’artiste le plus important du XXe siècle, il est qualifié par le principal animateur et théoricien du surréalisme, le poète et écrivain français, André Breton (1896-1966), d’« homme le plus intelligent du siècle ». Inventeur des ready-made, sa démarche artistique exerce une influence majeure sur les différents courants de l’art contemporain. Précurseur et annonciateur de certains aspects les plus radicaux de l’évolution de l’art depuis 1945, il aurait également, été l’inspirateur de plusieurs courants artistiques dont le Pop art, le néo-dadaïsme, l’Op art et le cinétisme.

Fils du notaire de Blainville-Crevon et d’une musicienne accomplie, il est le petit-fils d’un artiste, qui enseigna l’art à ses petits-enfants. Il est le troisième des sept enfants d’une fratrie de laquelle sont encore issus le sculpteur Raymond Duchamp et les peintres Gaston et Suzanne Duchamp, épouse du peintre Jean-Joseph Crotti. En 1900, sa marraine avait également épousé un peintre : Paulin Bertrand.

Il entreprend l’apprentissage de la peinture auprès de son grand-père, puis de ses frères, de sa sœur et de leurs amis.

En octobre 1904, il s’installe à Montmartre et s’inscrit à l’académie Julian qu’il abandonnera, lassé des cours théoriques. Après avoir échoué au concours d’entrée de l’école des Beaux-Arts de Paris, il accomplit son service militaire. Marcel Duchamp est ainsi un artiste autodidacte. Il propose des caricatures satiriques aux journaux comme Le Rire et Le Courrier français ; dix-huit de ceux-ci seront publiés entre novembre 1908 et octobre 1910. Il les signe Duchamp et pratique un humour parfois jugé grivois. Il hésite alors entre deux carrières : humoriste ou peintre. Les dessins qu’il réalise à l’occasion du Salon des Humoristes de Paris en mai-juin 1907 demeurent sans grand succès. En mai 1908, il emménage à Neuilly-sur-Seine où il demeurera jusqu’en 1913. En octobre 1908, il expose quelques tableaux au Grand Palais de Paris, lors du Salon d’automne (Portrait, Cerisier en fleurs et Vieux Cimetière ; très influencés par le style impressionniste). Au printemps 1909, il expose deux paysages au Salon des indépendants, à l’Orangerie des Tuileries.

Il réalise des paysages normands des environs de Veules-les-Roses, qu’il présente lors de sa seconde participation au Salon d’automne. À la fin de la même année, il participe, à Rouen, à l’exposition organisée par la Société normande de peinture moderne. L’organisateur, son ami d’enfance Pierre Dumont, lui présente le peintre Francis Picabia. Ses frères, Jacques et Raymond, l’invitent régulièrement à les rejoindre à Puteaux, où se rencontrent les peintres cubistes Albert Gleizes, Fernand Léger, Jean Metzinger, Roger de La Fresnaye et les poètes Guillaume Apollinaire, Henri-Martin Barzun, Maurice Princet et le jeune Georges Ribemont-Dessaignes.

Entre 1910 et 1912, le style de Duchamp va considérablement évoluer suivant différentes phases. Il est influencé par le travail de Cézanne et par le mouvement fauviste, refusant toutefois d’y adhérer. Il devient sociétaire du Salon d’Automne, mais refusera ironiquement d’encore y participer.

En 1911, il tente d’unir les styles symboliste et cubiste. Cette recherche picturale aboutit à sa première représentation de machinerie mécanique, intitulée Moulin à café.

De 1911 à 1912, il élabore des dessins énigmatiques et de minutieux tableaux influencés par le style ancien, tels Les deux Nus descendant un escalier et Joueurs d’échecs, Le Roi et la reine entourés par des nus vites, Passage de la vierge à la mariée, Mariée. Il compose alors une iconographie hermétique, déconcertante de complexité. Les figures de ces compositions, puisées dans le répertoire de la peinture ancienne, deviennent des agencements d’objets divers, dont l’aboutissement sera Le Grand Verre ou La Mariée mise à nu par ses célibataires. Il est présent au côté du groupe de La Section d’or en 1912 à Paris pour une exposition à la galerie La Boétie.

En 1913, les nouvelles découvertes européennes sont présentées à l’Armory Show, organisé à New York. Le tableau Nu descendant un escalier, influencé comme le style futuriste par la chronophotographie, provoque l’hilarité et le scandale. Duchamp va alors délaisser la peinture et présente, au titre d’œuvres d’art, des objets manufacturés esthétiquement neutres, qu’il baptise Ready-mades : Roue de bicyclette, Porte-bouteilles, Fontaine , etc.

Cette même année 1913, Roue de bicyclettepeut également s’inscrire en prémices à ses travaux sur le mouvement poético-sculptural, ce ready-made étant considéré comme l’origine de l’art cinétique.

En 1914, il séjourne à Munich et est fasciné par les œuvres du peintre Cranach dont les glacis préfigurent la transparence du verre. Il conçoit alors le projet quelque peu ésotérique de réinventer la peinture sur verre – traditionnelle en Allemagne comme dans les pays de l’est de l’Europe – de synthétiser ses précédentes recherches, débarrassées de toutes contingences. Il approfondit alors ses connaissances mathématiques en géométrie et en optique. Il s’informe par la lecture de l’Encyclopédie, des travaux de Léonard de Vinci et de Dürer. Il accumule un nombre considérable de notes, de croquis, de citations. Il expérimente préalablement de nouvelles techniques.

De retour à Paris, il travaille à la Bibliothèque Sainte-Geneviève jusqu’à son départ pour New York en 1915, où il débutera immédiatement le travail préalable à la concrétisation du projet qu’il a conçu à Munich. Il va persévérer pendant plus de dix ans, pour finalement irrémédiablement renoncer à achever Le Grand Verre, également nommé La Mariée mise à nu par ses célibataires, sans qu’il ne puisse jamais révéler sa toujours mythique raison d’être.

Il entretient des liens avec Man Ray, Alfred Stieglitz et Francis Picabia avec qui il fonde la revue 391, tandis que ses recherches et ses œuvres impactent sensiblement le mouvement dadaïste.

En 1918, il débute au cinéma en tant que figurant dans le film Lafayette, We Come! de Léonce Perret.

Une phase ultérieure de sa recherche cinétique instaurera le rapport entre moteurs électriques, disques transparents ou recouverts de motifs géométriques (1920-1923), invention pour laquelle il sollicite l’aide de Jacques Doucet.

En 1924, Duchamp persiste à entretenir une relation complice avec le cinématographe ; il participe au tournage du court-métrage expérimental Entr’acte de René Clair, dans lequel il apparaît en joueur d’échecs face à Man Ray.

Sa préoccupation pour le temps, la vitesse et la décomposition des mouvements le mènera au cinéma expérimental. Son unique film Anemic cinéma, réalisé en 1926 (35 mm, noir et blanc de 7 min), fut signé Rrose Sélavy, avec la complicité de Man Ray et du réalisateur Marc Allégret. Il présente des plaques rotatives induisant des jeux d’effets optiques géométriques, rehaussés de jeux de mots en fond sonore.

Pendant la période 1930-1933, il collabore à la revue Le Surréalisme au Service de la Révolution, fondée par André Breton et éditée par José Corti.

En 1935 il dépose le brevet des Rotoreliefs – une évolution des plaques rotatives expérimentées dans son court-métrage de 1926.

En janvier 1938, il coorganise l’Exposition internationale du surréalisme à la Galerie des Beaux-Arts à Paris et présente dans l’une des salles, une sculpture éphémère composée de 1200 sacs de charbon suspendus au plafond.

En 1944, il interprète le rôle principal du film expérimental Witch’s Cradle de Maya Deren.

En 1947, il participe à la direction artistique d’un épisode du film Dreams That Money Can Buy – Rêves à vendre – de Hans Richter, musique de John Cage. Par la suite, il participe, jusqu’à la veille de sa mort, à quelques films d’artistes et à des documentaires. Sous le couvert du Surréalisme, il organise de nombreux événements en collaboration avec André Breton. Il acquiert une renommée croissante et devient célèbre après la Seconde Guerre mondiale.

Un tel éclectisme pose questions : Marcel Duchamp a-t-il été un peintre boudé par la reconnaissance et la notoriété ? S’est-il adonné avec aisance à ces différentes disciplines sans véritablement se reconnaître dans aucune d’elles ? Les tentatives postérieures à l’abandon de l’œuvre Le Grand Verre sont-elles dues à la frustration de ne pas avoir concrétisé l’ambition de renouveler et de redéfinir la peinture ? L’expérience, l’intelligence, la sensibilité et la connaissance ont-elles amené le plasticien Duchamp à conclure, comme l’avait précédemment fait le philosophe Hegel, à la mort de l’art ?

Quoi qu’il puisse en être, il est le principal responsable des formes et concepts artistiques actuels et du fait que la peinture ne soit plus auto-suffisante, qu’elle aboutisse à des expérimentations neuves et multiples et qu’elle s’accompagne d’écrits, de commentaires qui lui confère une perspective élargie, en dehors des limites du châssis et de la surface de la toile. « Je voulais m’éloigner de l’acte physique de la peinture. J’étais nettement plus intéressé à recréer des idées dans la peinture […] Je voulais remettre la peinture au service de l’esprit. », a-t-il dit. Devenu ainsi l’initiateur de l’art conceptuel, son rapport à la peinture demeure cependant très complexe ; l’ensemble de son œuvre pourrait presque être uniquement assimilée au questionnement qu’il a développé à ce sujet. Si en 1909, son tableau intitulé L.H.O.O.Q. – la Joconde aux moustaches, témoigne de son insolence pour le patrimoine historique du dit médium, La Boite-en-valise qu’il réalise après avoir abandonné la peinture, comprend les reproductions de la plupart de ses toiles et l’année de sa mort, il va réaliser une série de lithographies en hommage aux grands maîtres que sont Ingres, Courbet, Rodin, etc, prouvant ainsi que la peinture restait sa préoccupation majeure.

Dans le courant des années 1950, une nouvelle génération d’artistes américains, tels Jasper Johns et Robert Rauschenberg se revendiquent du mouvement néo-dadaïstes et le reconnaissent comme en étant le précurseur.
En 1964, la réédition de ses premiers objets ready-mades et leur diffusion dans le monde entier parachèvent sa célébrité.

Biographie de Joseph Beuys

Né le 12 mai 1921, en Allemagne, à Krefeld, Joseph Beuys est l’enfant unique d’une famille de négociants catholiques. Dès 1930, il s’intéresse à la botanique et constitue de petites collections d’insectes et de plantes qu’il expose.

Adolescent sous le régime nazi, il découvre l’œuvre du sculpteur Wilhelm Lehmbruck, qui déterminera sa vocation et l’orientation de sa carrière. Sous l’effet de cette révélation, il réalise que tout un domaine d’expression n’avait pas été abordé dans le domaine de la sculpture. Il entreprend des études de médecine avant d’être incorporé en 1940 dans l’armée de l’air sur le front russe où il a servi comme pilote de la Luftwaffe.

Il créera sa propre légende en publiant l’histoire de son sauvetage par des paysans Tatars, en 1943, en Crimée, alors que son avion a été abattu. Il échappe à l’hypothermie en ayant été recouvert de feutre et de graisse animale, selon une technique ancestrale. Ses sauveteurs le nourrissent principalement de miel. Dès lors, son œuvre privilégie les thèmes de la résurrection, de l’énergie vitale et de la relation de l’individu avec le groupe et le cosmos.

Il est aujourd’hui connu que cet épisode fut inventé de toutes parts par l’artiste afin d’édifier sa mythologie personnelle. Il fut prisonnier de guerre en Grande-Bretagne de 1945 à 1946. À sa libération, il décidera de consacrer sa vie à l’art et commencera à sculpter.

En 1946 Beuys devient sculpteur et rencontre les frères Franz, Joseph et Hans Van der Grintsen qui commencent à acquérir ses œuvres. En 1947, il s’inscrit à l’Académie de Düsseldorf, où il suit les cours de Joseph Enseling et Ewald Mataré. Il s’intéresse à l’alchimie, aux liens entre la religion et les sciences ainsi qu’à l’évolution. En 1950 il est fasciné par le livre Finnegans Wake de James Joyce et par Léonard de Vinci. Il obtient son diplôme en 1951.

Il commence à développer le concept d’une sculpture sociale, considérant que le seul acte plastique véritable, consiste à développer la conscience humaine.

En 1952, l’artiste s’intéresse aux animaux possédant une signification spirituelle ou nomade comme « le lièvre », lié au mouvement, « le cerf », symbole du Christ crucifié dans la tradition chrétienne, « le cygne » et « l’abeille ». Il utilise la graisse ou la cire pour leur capacité de transformation au contact de la chaleur. Il sera, dès lors, qualifié de chaman de l’art et du monde contemporain.

Sa première exposition solo se déroule en 1953 chez les frères Van der Grinten à Kranenbourg ; il y présente la symbolique de la croix. Après une grave dépression nerveuse, il se repose chez eux de 1955 à 1957. Il y peint de nombreuses aquarelles, prémices à ses travaux futurs. Petit à petit, à partir du traumatisme de son accident – devenu un mythe fondateur – il crée des œuvres aux matériaux récurrents – principalement le feutre et la graisse – et se sent investi d’une mission frôlant la révélation mystique, attitude proche du chamanisme. Davantage influencé par le primitivisme de Paul Gauguin que par les ready-made de Marcel Duchamp, il transcende les objets dans des mises en scènes théâtrales. Il rédige également des textes théories relative à l’art, à l’esthétique, à la politique, à l’humanisme, plus précisément à la conception anthropologiste de l’art.

Il concevra ses premiers travaux relatifs aux phénomènes électriques en 1958, rencontrera Yves Klein en 1959, année au cours de laquelle il convolera avec Eva Wurmbach.

De 1958 à 1961, il élabore l’essentiel de son lexique artistique, relatif à l’usage de matières communes, peu utilisées en tant que médiums artistiques. Il utilisera ainsi le feutre, la graisse, le miel, la cire d’abeille, le terre, le beurre, les animaux morts ou vifs, le sang, les os, le soufre, le bois, la poussière, les rognures d’ongles, les poils. Il crée son personnage, reconnaissable à son chapeau et son gilet et se définit d’abord comme un sculpteur.

Nommé professeur de sculpture à l’Académie de Düsseldorf en 1961, il prend part au mouvement artistique Fluxus, lequel favorise la performance et les environnements. Ses adeptes revendiquent la prépondérance de l’acte artistique sur l’œuvre.

En 1962, il se lie d’amitié avec Nam June Paik. Sa première exposition muséale individuelle a lieu en 1966, au Stadtisches Museum de Mönchengladbach.

Selon lui, chaque homme est un artiste ; cette thèse est sa contribution à l’histoire de l’art. Il se rallie à l’optique de Marcel Duchamp qui a considéré que tout objet est susceptible d’obtenir le statut d’œuvre d’art. C’est selon ce principe que Beuys définira sa notion de Sculpture sociale.

Il exercera encore diverses activités politiques. Il mène campagnes en faveur de la démocratie directe, de l’environnement – sera un des membres fondateurs du parti vert allemand – et de diverses causes socio-politique. En 1967, il fonde le Parti Étudiant allemand et en 1970 l’Organisation des non-électeurs. Il sera candidat à l’élection au Bundestag.

L’œuvre de Beuys est influencée par les théories ésotériques de l’héritier du spiritualisme de Goethe et des romantiques allemands Rudolph Steiner, lequel définit le principe de la liberté comme but suprême de la société, attribue aux artistes la faculté de contrôler les forces chaotiques, de conserver à la matière son état magmatique et de lui conférer une forme artistique éducative et libératrice.

Licencié de l’Académie de Düsseldorf en 1972 après avoir accordé son soutien à des étudiants contestataires, il sera réintégré six ans plus tard. L’année suivante, il fonde l’Université Internationale Libre pour la Créativité et la Recherche Interdisciplinaire. Il développe le concept de la sculpture sociale, susceptible d’engendrer une société plus égalitaire ; il soutient la thèse que tout homme est un artiste, que l’acte de créer est libérateur.

En janvier 1974, il effectue son premier voyage aux États-Unis. Il expose pour la première fois à Paris, à la Galerie Bama. Lauréat du prix Wilhelm Lehmbruck de Duisburg en 1976, il est nommé membre de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin en 1978.

Le 18 mai 1979, à la galerie Hans Mayer de Düsseldorf, il rencontre Andy Warhol et instaure à cette occasion le Das Warhol-Beuys Ereignis

l’événement Warhol-Beuys – tandis que Warhol entame une série de portraits de Beuys.

Le 2 novembre de la même année, a lieu la première grande rétrospective de l’artiste au Salomon R. Guggenheim Museum de New York.

Au début des années 80 Joseph Beuys fait don d’environ 1000 œuvres au Musée Sztuki de Lödz en Pologne. Cette action doit être comprise comme un geste symbolique contre la division de l’Europe en blocs de l’est et l’ouest.

Il décède à Düsseldorf le 23 janvier 1986 des suites d’une maladie pulmonaire. Artiste charismatique, il a créé une figure nouvelle de l’art, où l’œuvre et la personne publique de l’artiste se confondent.

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